paysages, corps, couleurs, matières, vitesses en arts plastiques, en numérique.
2013 (2012-), multichannel video 36'19''
Producteur(s) : Too many Cowboys, Madeira film Festival, Galerie Charlot
Fichier vidéo M4v sur Ipad (x2)
encadré bois, frises noires
Distribution
Galeries/Musées
Distributeur(s) :
Galerie Charlot, Paris
Voyager vers une ville peut nous ramener à l’essence de la nature. Un paradoxe ? Jacques Perconte nous invite, à travers un numérique conscient, à « percer les remparts de la cité » et à croire en un possible renouveau.
par Bidhan Jacobs, Ethique et splendeur du numérique, mars 2014
Funchal (Madeira) constitue une étape décisive chez Jacques Perconte dans la recherche du sens que peut revêtir sa critique radicale des dernières technologies : l’émergence d’une éthique du numérique. Le travail créatif de Jacques Perconte ne consiste pas simplement à libérer les signaux en poussant les algorithmes à rebours des usages idéologiques et normés des industries de l’information et de la communication et en créant des images composites raffinées de formes plastiques poreuses, saturées, vibrantes et labiles. L’investigation plastique des algorithmes est une quête chaque fois remise en question. Lorsque Jacques Perconte découvre l'île de Madère, il ne le vit pas comme un simple retour à une nature merveilleuse, mais comme une confrontation à une emprise partielle et néfaste de l'homme sur son environnement, conditionnée par l’économie (développer les emplois et le profit à travers le tourisme). Le dispositif qu’il met en place pour Funchal assume le paradoxe de représenter, à l’aide des technologies numériques, un paysage dénaturé. Il lui faut, par ailleurs, résoudre une contradiction entre des outils de captation et de calcul qui n'ont jamais eu un impact écologique aussi élevé et une nature par essence sublime.
Le recours à l'histoire de la peinture occidentale (diptyque et cadre de bois noir) lui sert à réduire les terminaux mobiles high-tech (munis de fonctions et de capteurs performants) à de simples support et matière de l'image - trame de pixels de cristaux liquides en lieu de la toile de lin, pigments et huile. Le végétal (le bois du cadre) jouxtant le métal et le minéral (l'écran) élève la température d'un médium réputé froid. Mais il nous rappelle également que ces puissants outils numériques sont constitués de matériaux extraits de la nature. S’ils sont une des causes de sa destruction, ils n’en sont pas moins une extension, par conséquent en potentielle résonnance avec elle.
La caméra HD, reléguée à son statut d’instrument d’observation et donc de machine à produire des données, est embarquée dans un véhicule le long d’une route sinueuse à travers la forêt jusque Funchal et l’océan. Elle est maintenue en contre-plongée afin de réduire la portion de route goudronnée et laisser paysage et ciel envahir les ¾ de l’image. Jacques Perconte prend cependant le soin de préserver les véhicules passant dans le champ, et dans l’image puisqu’il les épargne souvent de trop fortes compressions pour étudier leur interaction avec l’environnement. Jacques Perconte prête, en effet, une attention particulière à toutes les interactions entre le monde technologique, les hommes, l’urbanisme et la nature. Ainsi, le traitement par compressions met-il en évidence ces interactions en s’appuyant sur les poussières du pare-brise, les gouttes de pluie ruisselant, les essuie-glaces pivotant, les véhicules, les arbres, les roches, les poteaux et câbles téléphoniques, les piétons, les murs, les maisons, les immeubles, les ponts. Le jaillissement de phénomènes plastiques d’artefacts n’est rendu possible que par les mouvements et vitesses relatives : le travelling avant qui permet au champ de la caméra de balayer le paysage selon une amplitude et une oscillation déterminées par les fréquents virages, le mouvement général du véhicule descendant vers l’océan, les panoramiques verticaux de la caméra, les vibrations provoquées par la route se répercutant dans le corps de Jacques Perconte et se transmettant à la caméra, ainsi que chaque déplacement de chaque élément par rapport au champ de la caméra. L’ensemble des mouvements relatifs détermine également les variations de luminosité des plans, le dévoilement ou l’obturation du soleil. A mesure que nous approchons de Funchal, ville, remparts et béton dévorent le paysage numérique. A ceci près que les traitements par encodage, sélection et composites, transforment les violences infligées par les éléments technologiques et urbains en complexité et beauté formelles. Par ailleurs, ils tendent à se détruire les uns les autres et à se faire contaminer par les pixels de la nature : les immeubles et ponts de Funchal, par exemple, adoptent la propriété diaphane du ciel.
Les deux écrans n’offrent aucune stéréoscopie et jouent au contraire de l’hétéroscopie selon deux procédés. D’une part, chaque écran présente la même piste mais différée d’environ six minutes et dix secondes. D’autre part, le traitement par algorithme de compression a été effectué dans le sens premier d’obtention du fichier pour l’écran de gauche, et en sens inverse pour l’écran de droite, ce qui génère des formes plastiques radicalement opposées, les éléments de l’image à gauche laissant des traînées et blocs de pixels derrière eux, tandis que ces mêmes éléments, à droite, rejoignent et résorbent leurs traînées ; les températures de couleur des écrans, à chaque instant, sont inverses, de même leur contraste, leur luminosité et leur saturation. Les tensions internes des plans se retrouvent donc déclinées dans le dispositif à double écran. Le spectateur livre un effort constant pour rassembler ce qu’il voit en un tout homogène et sensé. Il finit par y arriver, d’abord par intuition, puisque se produit sporadiquement un sentiment confus de réminiscences plastiques : il croit, sans conviction, que ce qu’il voit dans l’écran de droite serait une transformation différée de l’écran de gauche. Lorsque ce dernier dévoile, après un excès de ville et alors que passe un immense pont qui traverse tout le cadre, la puissante et éblouissante lumière solaire qui troue le pont et fusionne tout dans le blanc, le spectateur dispose d’un indice plus probant. Après vingt secondes, le blanc passe au seuil d’un bleu pastel, puis un nuage prend forme et la forêt émerge dans ses verts rassurants. Un peu plus de six minutes plus tard, c’est au tour de l’écran de droite de subir une métamorphose plastique similaire et le spectateur se souvient alors que le film, dans cet écran, avait débuté ainsi, depuis ce bleu pastel. La fin de cette boucle est une révélation pour le spectateur et l’amène à rester devant l’installation pour faire l’expérience renouvelée de tout le phénomène par lequel, invariablement, la nature reprend ses droits.
Jacques Perconte assume le numérique – dans ses potentialités, ses défaillances, les problèmes éthiques qu’il véhicule – en le soumettant à une haute exigence de politique (formelle, technique, économique, écologique) qui lui permet de transcender les paradoxes et de rendre la nature à sa gloire.
Jacques Perconte : voies et formes de la libération du signal, Jacobs, Bidhan
Cette pièce fait partie d'une série. La plupart du temps une série s'attache à un paysage, à une région. Il y a une certaine unité géographique.
Les motifs et figures que je travaille. En cours de développement
Some rights reserved jacquesperconte © specific mentioned producers
But shared with love.
;)